• Galerie de portraits

     

    Jean

    Deux ronds noirs sur un à plat ovale blanc. Le regard scrute celui qu’il regarde. Deux lignes fines en relief qui s’érigent en V des deux ronds noirs le protègent de la violence de la lumière de midi. Une griffe en sillon descend sur la droite d’une bouche entr’ouverte.

    En son for intérieur : S’il était un arbre il serait un pin, immense et filiforme, dressé par la grâce de son port à la fois frêle et souple agité par le vent d’ouest et le sable qui saupoudre ses aiguilles.

    En son for intérieur : Une corde distendue   -  elle se tend  -  à l’extrême  -  les fils tressés qui  la compose se rompent un à un  -  il n’en reste qu’un fragile.

     

    Il regarde autour de lui la mer immense.

    Il sait se faufiler entre ses vagues, pour l’instant sans risquer de s’y briser.

    Il regarde au loin, il espère il ne sait quelle conquête imaginaire.

    Mais elle est si forte.

    Quoi ? Qui ?

    Son rêve s’y brisera quand même comme le pin dans la force du vent.

     

     

    Geneviève

     

    Des lignes pures tracées à l’encre de chine sur une surface blanche. Deux amandes brun vert

     

    En son for intérieur : appuyée sur une balustrade, son regard voilé par une indicible mélancolie se perd dans le lointain encerclé de montagnes d’un blanc cristallin. Un sourire énigmatique illumine pourtant ce visage. Elle est très jeune. Elle est très belle.

    Il y a l’or.

    Tout brille. C’est chaud. Ca brule presque. On veut s’en saisir mais ça fait mal, c’est cruellement douloureux ! Non ! Le feu !

    Puis plus rien. Un entêtant silence, une incessante plainte qui remonte du plus profond de la nuit.

    Une immense nuit noire. Le silence insupportable, assourdissant. Stop !

    Encore l’or, l’extase du feu puis le vertige de la chute dans le vide d’une plage de silence froid et dur.

    Rien.


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  • Naissance d'un personnage

     

    Naissance

     J’étais enceinte et je sentais mon ventre prêt à éclater. Ca bougeait là-dedans et fort ! Plein de coups de pieds. Etait-ce les contractions qui arrivaient ?                                        

    Je l’avais accompagné au casino d’Arcachon. Il m’avait suppliée, il était sur de gagner, il se sentait en chance disait-il. Lui c’était jean, mon mari.

    J’étais fatiguée. De lui. De son jeu. Du bébé qui allait venir d’un instant à l’autre, j’avais très chaud. C’était une belle soirée de début octobre, anormalement tiède encore.

    On avait laissé l’hôtel aux vieux. Ils étaient de plus en plus pénibles. Il valait mieux s’échapper de là. Leur laisser les clients et les emmerdes.

    J’avais de plus en plus chaud.

    Comment pouvait-il penser à jouer alors que sa fille risquait de sortir d’une minute à l’autre.

    Et ce qui devait arriver arriva. Il perdit, gros.

    Et du coup les eaux sont arrivées en même temps, je me suis assise au milieu d’une marre, sous le regard affolé  des gens autour accompagné d’un oh sonore et collectif de dégout !

    Deux serveuses sont arrivées en vitesse et un homme monumental qui m’a soulevé comme une plume, ils m’ont sortie en vitesse de la salle de baccara, la sirène d’une ambulance retentit.

    J’avais mal à en mourir.

    J’ai ouvert les yeux, j’étais à la clinique du Pyla, épuisée. J’ai tourné la tête et en apercevant ma mère penchée qui s’extasiait vers un berceau. J’ai vu ce bébé, ma fille.

    Jean n’était pas là…

    Comment avait-il pu ne pas être là, ne pas m’accompagner à la clinique, s’éclipser comme un voleur ? Mais où pouvait-il bien être ?

     Je me suis souvenue qu’il venait de perdre beaucoup d’argent… Comment allait-il payer, on n’avait plus grand-chose? Il nous faudrait encore emprunter aux vieux et subir leurs reproches sans fin ou vendre le collier qu’il m’avait acheté le mois dernier juste après avoir gagné ce paquet de fric.

     Ma mère était assise à côté, extasiée devant la merveille.

    Une semaine après l’accouchement, sans nouvelles de Jean, je partis à Paris dans notre petit appartement. L’hôtel allait fermer de toute façon, c’était la fin de la saison. J’emmenais Philippe avec moi, le frère de la petite? elle n’avait pas encore de prénom définitif et ma mère.

    Ca commençait mal.

    Il ne s’arrangeait pas.

    Je ne sais pas si j’allais supporter encore longtemps son attitude!

     


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  • L’homme est raide comme un piquet.
    Il se tient là, au milieu du quai, en plein soleil et sa tête est immobile, le regard planté vers Paris. De temps à autre il se penche au-dessus des voies, comme pour voir plus loin un éventuel train arriver, et alors je distingue mieux ses traits, je vois quelques gouttes de sueur luire sous son chapeau.
    On ne voit que lui, immobile dans ses beaux habits du dimanche parmi tous ces voyageurs, belle et triste araignée aux grandes jambes perdue au milieu des fourmis.
    Il n’enlevera pas son veston, je le sais, il le gardera jusqu’à ce que la dernière goutte d’eau sorte de son corps. Au bout de son nez aquilin, ça commence à briller. Mais ça ne vibre pas, pas un mouvement. Je remonte le long de l’arête jusqu’à son œil gris que je vois brûler dans l’ombre. A quoi pense-t-il ?
    La lueur disparaît petit à petit alors que mon train enfin quitte la gare.

    Le reverrais-je ?    


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  •          #Les mains

             En rangeant mes outils aujourd’hui, à la fin de la journée, je me suis surpris à regarder mes mains. Mes mains, mes fidèles compagnes ! Que ferais-je sans elles ?

             En les fixant, j’ai pensé à une femme dévouée qui me préparerait amoureusement mes repas, repasserait mes uniformes et caresserait mes joues après le passage du rasoir, sans demander de contrepartie. Je ne pensais jamais à elles.

           Je m’en suis alors voulu en découvrant ces ongles rongés, ces nombreuses traces de brûlures et autres coupures que je feignais de ne pas sentir. Quelle ingratitude !

             Et pourtant, elles sont sans doute mon plus grand trésor.

     

              #Les poils

             De temps à autre, je découvre sur mon corps, dans des endroits tout à fait aléatoires, un poil beaucoup plus épais, plus long et plus noir que les autres que je m’empresse d’arracher. Je ne sais pas pourquoi, mais cette excroissance non désirée me semble toujours être un mauvais présage et je suis rassuré de la voir disparaître.

              Ce matin, pourtant, j’en ai trouvé un totalement blanc et je l’ai laissé.

              L’hiver est pour bientôt.


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  • Ne penser à rien.
    Ne même pas penser au rien.
    Penser à ce qu’il y a avant.
    Il doit y avoir un vide avant le surgissement d’une pensée.
    Se concentrer sur ce vide.
    Ou alors les horaires.
    Retenir les horaires par cœur, se les répéter sans cesse jusqu’à l’ivresse, remplir ses pensées de chiffres jusqu’à saturation.

    Comment vais-je parvenir à me calmer et enfin m’endormir ?    


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  •     Il se lève de table, prend ses couverts et les dépose soigneusement dans la bassine déjà bien chargée de vaisselle sale. Consciencieusement, du bout de l’index, il ramasse unes à unes les miettes qui agonisent.
         Une fois cette tâche terminée, il sort sa pipe de sa poche, la bourre et l’allume. Alors que la première bouffée de tabac quitte ses narines étroites, il regarde par la fenêtre et se repose la question qui le hante.


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  • Le masque et la silhouette :

                Un rectangle pâle planté fermement au bout d’un long trait ondulant dans l’espace, voilà ce à quoi il ressemblait quand on le regardait en plissant les yeux.

     

    En son for intérieur :

                Un champ infini recouvert de neige, et quelque part une tâche de sang qui laisse apparaître des brins d’herbe verte.


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  • Son corps l’a vite encombré. Trop grand pour son époque, il dépasse d’une tête au moins tout son entourage. Il va toujours un peu voûté, comme pour se cacher. Sur les photos, il baisse la tête pour rester dans le cadre.

     

    Plutôt lourd et lent, il fait moins de pas que les autres tout en restant à leurs côtés. Il écrase de son quintal le ballast le long des voies qu’il inspecte.

     

    En trois ans de guerre il perd beaucoup de poids et en perd encore davantage durant les six mois qu’il passe emprisonné à la Gestapo puis aux Baumettes. Il aura mangé des dizaines de lapins ramenés de la Drôme dans des valises au cours de ses déplacements professionnels.

     

    Son travail fini, avant de quitter la gare, il achète La Tribune de Genève ; il dit que les Suisses sont les seuls à pouvoir parler de la guerre. Il n’a que la rue à traverser pour regagner l’appartement du Racati.

     

    Le soir, après le repas, il lit assis à la table de la salle à manger sur laquelle il étale un journal pour ne pas tacher le livre emprunté à la bibliothèque des cheminots.

     

    Des hommes en manteau gris sont venus le prendre un matin de novembre dans les bureaux du Service électrique de la gare Saint-Charles. La plupart des syndicalistes sont emmenés avec lui. Direction le 425 rue Paradis.

     

    Jean-Paul - 10 décembre 2013


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  • Maurice en mai - Jean-Paul - 10/12/2013Trois semaines que Maurice a quitté les Baumettes. Libéré sans savoir pourquoi, pourquoi maintenant, pourquoi lui, pourquoi pas les camarades arrêtés avec lui en novembre dernier. Il a rejoint l’appartement du Racati, face à la gare où il reprend rapidement son poste au Service électrique. Il a préféré y retourner tout de suite. Pas envie de laisser tourner dans sa tête les sales idées. Pas envie de passer des journées entre quatre murs avec sa femme dont la seule présence lui donne envie de sauter du balcon.

    Ce matin, il s’est levé dès qu’il l’a pu sans s’exposer aux remontrances de cette petite femme acariâtre. Il ne pourrait pas dire à quelle heure il s’est réveillé. Il ne sait même plus s’il lui arrive de s’endormir. Il reste des heures allongé sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, il regarde au plafond défiler les lumières des phares des voitures passant en bas dans l’avenue, filtrées par les lames des volets métalliques. Elles glissent de la fenêtre jusqu’à la porte. Il écoute les moteurs. Et il pense.

    Alors il s’est levé, s’est passé de l’eau sur le visage et sur les bras, s’est habillé. Dans la cuisine il réchauffe du café de la veille, du moins ce qui sert de café. Il marche un moment, le bol à la main. Il colle son dos au mur, regardant le ciel par le fenestron, il se laisse glisser jusqu’à s’accroupir, jusqu’à ne plus rien voir. Depuis qu’il est revenu, il ne s’est pas assis pour manger, il ne tient pas, il faut qu’il se lève, qu’il marche ou s’accroupisse. Une partie de sa tête est restée aux Baumettes, il ne comprend pas pourquoi lui est sorti, les autres non. Il se relève, vide son bol, le rince et le pose à l’envers près de l’évier, il enfile sa veste et sort. Il descend à pied les trois étages, traverse la rue et pénètre dans les bureaux de la gare. Il longe des couloirs, évite les regards qui évitent le sien. Il s’assoit à sa table de travail, sort de sa poche le carnet de ses inspections, le pose bien droit en haut à gauche du sous-main. Il tourne la feuille de l’éphéméride : 27 mai 1944. Pour la première fois depuis six mois il pense que ça va être une belle journée.

     

    *

     

    Maurice ouvre son carnet d’inspection, feuillette les dernières pages sur lesquelles il a noté les observations faites lors de ses inspections des trois derniers jours sur la ligne d’Aix. Les récents attentats n’ont eu que peu de conséquences sur les circuits électriques et les signaux dont il est en charge. Il commence à rédiger le compte-rendu d’inspection qu’il doit adresser à la Direction des installations. Des collègues passent dans le couloir sans s’arrêter, c’est comme ça depuis qu’il est revenu des Baumettes. Comme si le malheur était contagieux.

    Dans les bureaux on parle de la grève qui se développe depuis quelques jours à Marseille. Les cheminots ne s’y sont pas encore mis. Une nouvelle manifestation est convoquée pour le lendemain. Les allemands ne se montrent pas mais tout le monde redoute le moment où ils interviendront. Maurice travaille.

    À 10 h 40, l’alerte retentit. Une de plus. Des chaises raclent le sol, des employés se lèvent sans se presser, la répétition des alertes a émoussé les réflexes. Les bureaux se vident lentement. On vient chercher Maurice qui n’a pas bougé. On l’emmène en bas, on traverse une cour vers un abri. Des habitants du quartier se sont mêlés aux cheminots pour gagner l’abri. On n’entend pas les avions. Ce sera pour une autre fois se dit-on. Et puis on perçoit un grondement, sourd, lointain. Les têtes se lèvent, on ne voit rien. Au bout d’une minute, certains aperçoivent des points noirs, très haut dans le ciel. Le grondement se fait plus fort.

    Maurice se tient devant l’abri, il fait avancer la foule qui se presse en piétinant. Il arrive toujours du monde. Les premiers sifflements arrivent, suivis peu après d’explosions proches. On commence à s’affoler. Maurice pousse les retardataires. Il ne comprendra rien, il ne verra rien. La bombe américaine frappe à une vingtaine de mètres de l’abri, le souffle renverse Maurice qui s’écroule, sa tête heurte un bloc de ciment, sa montre de marque Oméga tombe du gousset de son gilet, le verre se brise, le mouvement s’arrête en marquant 11 h 17.

     

    Jean-Paul - 10 décembre 2013


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  • À 19 ans, Maurice mesure déjà 1,90 m et pèse pas loin de 100 kilos. Depuis que son bateau, le contre-torpilleur l’Aventurier, est arrivé en face de Sébastopol, il se réveille chaque matin l’estomac vrillé par la faim. La nourriture du bord est infecte, il est impossible de se ravitailler à terre car la ville est la proie d’émeutes permanentes : les ouvriers russes sont dans la rue pour défendre leur révolution contre l’intervention de la marine franco-anglaise. Le peu de denrées fraîches qui restaient a tourné, les matelots refusent de manger la viande verte peuplée d’asticots. Maurice vomit tout ce qu’il absorbe mais que son grand corps appelle de toutes ses forces. Les hommes, consignés dans les cabines, passent leurs journées allongés dans leurs bannettes qui se balancent au rythme du navire à l’ancre sur ce bout de Mer Noire. Les cœurs se soulèvent, l’odeur devient immonde.

    Maurice n’en peut plus, il se lève, il glisse dans des flaques de vomi et ne peut utiliser les toilettes bouchées, regorgeant une marée de merde qui s’étale dans les coursives. Il marche, se penchant à chaque porte, débouche sur un pont où il aspire un peu d’air envahi par la fumée arrivant de la ville dévorée par les incendies. D’autres hommes l’ont suivi, se répandent sur le pont, ignorant les ordres d’officiers rapidement débordés. La faim est plus forte que la peur, les officiers sont désarmés. Maurice se retrouve dans la peau d’un mutin.


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