• Lorsque nous fûmes enfin assis à la terrasse du café, je le regardai attentivement. Il portait la même veste en jean aux bords râpés que lors de notre première rencontre. Ce jour-là, son style punk anglais m’avait semblé dénoter avec son attitude sérieuse et maîtrisée mais j’avais pensé que cela faisait partie de la complexité du personnage, renforçant d’autant ma curiosité. Aujourd’hui, je sais que ce conflit entre ce qu’il est et voudrait être, entre son éducation musulmane et son attirance pour la culture occidentale est la source de notre problème. Je le regarde me mentir et repense à toutes les fois où il m’a menti au cours des trois dernières années. Combien de fois exactement ? Dix, vingt, cinquante ou plusieurs centaines de fois ? Je nous revois assis face à la mer, au bout du quai du J4. Il venait de me révéler son terrible secret, celui à cause duquel il avait disparu, ne supportant plus de me mentir mais incapable de me dire la vérité. Mais le pêché qu’il m’avait avoué ce jour-là n’était qu’une infirme part de la vérité, et donc à nouveau un mensonge. Mais à cette époque, j’étais encore naïve, je ne savais pas ce dont il était capable, son besoin de plaire à chacun, sa capacité à mener des vies parallèles et sa préférence du mensonge à une vérité difficile à dire. Maintenant, je le sais mais je n’arrive toujours pas à comprendre comment il arrive à dire tous ces mensonges tout en gardant une attitude calme, des traits détendus et un regard innocent. C’est ce même regard, jeté par de beaux yeux noirs en amandes, qui m’avaient convaincue qu’il était celui que j’attendais depuis si longtemps, qui me rendrait heureuse et en qui je pourrais avoir une entière confiance. Tout cela n’était qu’un rêve. Et alors que je lui révèle que je sais tout, je vois brusquement le masque tomber, laissant apparaître sur son visage le poids de la culpabilité et la honte d’être découvert.

     

    Jeanne Lapujade


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  • Où aller ?

     

    Ça y est, je suis partie. La porte du gendarme se dresse devant moi telle un mur. Sur le sol, le paillasson affiche pourtant un grand « Bienvenue ». A gauche, les escaliers s’enfoncent dans l’obscurité. Où aller ?

    Je descends. Dehors, les voitures sont soigneusement rangées les unes à côté des autres. Pas une seule ne dépasse les lignes blanches peintes sur le sol. Chacune à sa place et les enfants seront bien gardés. Je lève la tête et regarde les hêtres se balancer. Je ferme les yeux et écoute le bruissement des feuilles que traverse une légère brise. Où aller ?

    Je prends à gauche, en direction de la grande passerelle. Telle un immense U retourné, elle enjambe la voie ferrée. A cette heure creuse de la journée, peu de voitures l’empruntent. Où aller ?

    Je m’engouffre sous la passerelle. Un quartier invisible apparaît. Encerclé de grillages barbelés, une construction en forme de cube arbore un panneau cabossé, sur lequel on peut encore déchiffrer « Danger. Centrale haute tension ». De l’autre côté de la rue, à gauche, la maison de Lucie fait peine à voir. La cour, recouverte d’une dalle en béton, est remplie de vieux meubles de jardin en plastique, dont il est difficile d’imaginer la couleur initiale. Le gris de la façade est renforcé par l’ombre de la passerelle qui plane au dessus de la maison. Je regarde la fenêtre de gauche au premier étage. Les vieux rideaux à fleurs rosâtres de la chambre de Lucie sont fermés. Elle n’est pas là. Où aller ?

    Je continue dans l’impasse, qui se termine sur un grand terrain en friche, séparant les habitations des rails. Une fois au bout, je tourne la tête à gauche, puis à droite. Pas de train en vue. Les deux grandes lignes métalliques qui passent entre mes pieds semblent se prolonger à l’infini. Où aller ?

    Je traverse la voie, en direction de la Cité de la Galathée. Une immense barre d’immeubles se dresse devant moi. En dessous, une petite maison abandonnée. Le grillage a été forcé. J’emprunte cette ouverture imprévue pour pénétrer dans le jardin. En l’absence d’occupants, les plantes se sont appropriées l’espace. Je me fraie un chemin entre les ronces jusqu’à la porte d’entrée. Je tourne la poignée. C’est fermé. Où aller ?

     

    Jeanne Lapujade


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    L’envie lancinante depuis des semaines des mois de quitter les lieux une maison aux lisières

    De la ville de partir

    Partir oui mais quand ? mais pour où ? dans quelle direction ? de jour de nuit ?claquer la porte sauter par la fenêtre ?

    Un soir une impulsion il se decida

    Pour où ? lui revenait à l’esprit de manière lancinante

    Aucune solution pour l’instant

    D’abord la rue puis la place ou la gare

    Il serait temps de décider le moment venu

     

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  • Je retrouvais C. presque telle que je l’avais laissée quinze ans auparavant, et surtout dans son allure, toute en droiture mais aussi en souplesse, ce qui avait toujours créé en moi un léger malaise, comme une impression de me trouver face à une règle molle ou à un serpent arthritique, comme la contremaîtresse d’un atelier de couture. Je savais, dès le moment où j’avais entendu ses premiers mots au téléphone, après quinze ans de silence, que c’était évidemment elle et qu’elle n’avait pas changé et sans doute ai-je pensé qu’elle n’aurait pas changé, sûr que j’étais déjà que nous ne pourrions que nous revoir et que ces quinze années s’effaceraient alors, qu’elles n’auraient pas existé et que nous ne ferions que reprendre l’amour interrompu, ou plutôt suspendu, comme il l’avait toujours été entre nous, du premier jour où nous nous étions connus jusqu’à ce jour prochain où je la retrouverais.

     

    C. se tenait sur le seuil d’une maison que je découvrais, mais je l’avais déjà vue, elle, je veux dire C., comme si la porte avait été en verre. Nous ne nous étreignîmes pas encore, voulant jouir encore quelque temps de l’attente que dès alors nous savions qu’elle prendrait fin lorsque bientôt nos corps se confondraient. Oui, tout cela était su, annoncé, sans que nous eussions le moindre besoin d’en dire quoi que ce soit, sans même que l’un pût en lire le moindre murmure dans le regard de l’autre. Et dans cette évidence du temps effacé, de l’espace anéanti, une autre évidence était enchâssée, celle de la séparation qui succèderait à ces retrouvailles, qui s’y trouvait contenue, qui en était l’aboutissement inéluctable, fatalité acceptée et peut-être même souhaitée.

     

    La voyant ainsi s’effacer devant moi pour me laisser pénétrer chez elle, mais sans me laisser tout à fait l’espace suffisant pour ne pas l’effleurer, j’éprouvais dans mes mains la mémoire des formes de C. de la même façon mais en même temps inversement à ce que j’avais éprouvé lors de notre première rencontre dans un compartiment couchettes plongé dans l’obscurité où elle m’avait invité à la rejoindre, lorsque, sans l’avoir vraiment vue, j’avais senti se dessiner en moi ses traits et ses formes que je parcourais de mes mains et de ma bouche. Depuis cet instant, elle était demeurée en moi, elle était une partie de moi alors même que nous simulions notre propre vie chacun de notre côté.

     

    Alors, C. referma la porte au nez du temps disparu, elle reprit la phrase suspendue depuis quinze ans et nous fîmes ensemble les premiers pas vers notre prochaine séparation.

     

    Jean-Paul

     

     

     

     


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    La porte de la librairie s’ouvre dans le tintement de la clochette fixée au chambranle, laissant pénétrer une bouffée de froid et de bruits : une voiture, une Mobylette, des passants que l’on entend rire. C’est une librairie tout ce qu’il y a de normal, assez mal éclairée, avec des étagères, des livres et une vendeuse assise sur un tabouret haut derrière un long comptoir de bois ciré. La libraire a relevé la tête en entendant la voix de l’enfant qui vient d’entrer, précédant une jeune femme brune, probablement la mère. L’enfant, un garçon de cinq ou six ans, lève les yeux vers les rayonnages où s’alignent des livres dont on n’aperçoit que les dos sombres. Il s’est arrêté, empêchant la mère, oui, j’ai décidé, c’est la mère, l’empêchant d’aller plus avant. Elle le presse, encombrée qu’elle se trouve de ses filets dont s’échappent des queues de poireaux et trois baguettes de pain, Avance Robert ! L’enfant avance, il regarde à présent fixement la libraire qui vient de saluer les nouveaux arrivants d’un mouvement de chignon, Bonjour Madame Chenoz. L’enfant reste immobile un long moment puis se tourne vers la mère, Est-ce que c’est un métier, vendeuse ? Rire gêné de la mère, fondu au noir.

     

     

     

    *

     

    *       *

     

     

     

    Fondu au blanc, c’est visiblement la même librairie bien que ce ne soit plus du tout la même. Le comptoir est plus court, laqué rouge, un écran plat d’ordinateur en occupe l’extrémité, la salle est toute occupée par des tables couvertes de livres aux couvertures multicolores. Au fond, une pièce est occupée par deux ou trois dizaines de chaises pliantes laquées noir face à une table ronde derrière laquelle se tient une jeune femme aux cheveux courts et un homme d’âge moyen, en estimant la moyenne à une quarantaine d’années. Quelques personnes occupent les chaises et fixent l’homme qui parle, un livre à la main. Au mur, derrière lui, une affiche annonce une Rencontre-lecture avec l’écrivain Robert Chenoz. On ne distingue pas ses paroles à cet instant, la double porte vitrée électrique coulisse et l’on dirait qu’un scooter traverse la librairie. Ça ne dure qu’un instant, le temps pour tout le monde de tourner la tête vers l’entrée du magasin. Une femme blonde et un jeune garçon avancent entre les tables jusqu’au seuil de la pièce où se déroule la rencontre. Le garçon fixe l’homme qui parle, se tourne vers sa mère et dit Est-ce que c’est un métier, écrivain ?

     

    Jean-Paul

     

     

     

     


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  • Il y avait de l’herbe jaune qu’un jour je fus étonné de voir verte. Question de saisons. Il y avait des bouts de terrain, des bancaous, qui flottaient au fil des années, montant pour s’aligner sur la terrasse du haut, descendant quelques années plus tard au niveau du jeu de boules. Il y avait un cabanon où une pièce surgissait, un escalier disparaissait, une nouvelle porte s’ouvrait sur une cave devenue salle de bains.

    Et il y avait Nelly, jeune hollandaise au visage lisse et fin comme celui d’une déesse antique. Nous l’avons enterrée entre le ping-pong et le jeu de boules. Nous ne l’oubliions pas, en parlions de temps à autre. Puis un jour, nous la déterrâmes pour admirer à nouveau son buste sculpté dans cet inamovible bloc de calcaire pris dans l’argile. Nelly a de nouveau disparu mais je sais où elle est, un jour je la ferai réapparaître.

     

    *

     

    C’est une ville blanche et froide où il peut tomber un mètre de neige en une nuit, décor de camouflage pour un enfant de six ans et son chien. Passage au blanc à la Toussaint, retour de la couleur à Pâques. Les années les plus chaudes, on peut arrêter le chauffage du 14 juillet au 15 août.

    Je ne sais pas encore ce qu’est le froid, je roule à bicyclette par 30° sous zéro, empoignant le guidon d’une main, l’autre occupée à tenir des skis en équilibre sur mon épaule. Le soir, je roule jusqu’à la patinoire naturelle en plein air, les patins à glace noués autour du cou. Avant de partir, on arrose la glace pour que la nuit forme une nouvelle couche que nous viendrons mordre le lendemain.

     

    *

     

    La route va lentement sous la voiture grise au toit tout capoté de toile. Elle envoie du plus loin ses signaux qui prennent assez de temps pour qu’on les voie arriver, rester une seconde à la hauteur de la voiture puis disparaître dans la lunette arrière. Signaux, bornes, stations-service avec pompistes, étals couverts de melons, cabanes pleines de nougats. Au bout c’est la mer. Un jour la route ira plus vite sous une voiture ressemblant à toutes les autres, les signaux grandiront pour que, malgré la brièveté de leur passage, on puisse encore les distinguer. Au bout, la mer se cachera derrière du béton.

    Un jour d’été, parmi la longue file de vacanciers roulant vers le sud, un camion sans freins traversera la nationale, arrachera un morceau de la 2 CV avant d’aller mâcher le break 203 des cousins qui suivent. Une seconde pour anéantir une vie et en briser quelques autres.

     

    *

     

    Dans la ville il y a des rails avec des tramways ; leurs banquettes en bois ont des dossiers qui changent de position selon le sens du trajet. Il y a des câbles au-dessus des rues. Des perches vont des câbles jusqu’aux trolleybus silencieux. Quand la perche se décroche, le trolley s’arrête, le contrôleur descend pour aller la remettre en place. Je monte dans le petit sulky attelé à un cheval de bois que je fais avancer en pédalant. Autour du vieux marché circulent le rémouleur, la marchande de limaçons et la vendeuse de brousses du Rove.

    Dans cette ville où je ne suis encore qu’un visiteur intermittent, j’accomplis avec ferveur le pèlerinage de Noël : fondants et papillotes chez Dromel, pompe à l’huile chez Michel, huîtres et moules chez Toinou. Les noms seuls m’apportent les odeurs de chaque produit, le sourire des blouses roses de la confiserie, la queue sur le trottoir devant la boulangerie, les vendeurs en marinière de l’écailler.

     

    Jean-Paul - 1er avril 2014


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  • Né de la vagueCe n’était pas vraiment décidé. Il n’a pas voulu partir, ça c’est fait comme ça. Une erreur née de la vague des images qui l’a renversé, avalé jusqu’à ce que de flux en reflux il se trouve rejeté sur le parvis du musée tel un bois flotté, ses appréhensions gommées, lissées, polies.

     

    Dehors. Devant le musée. Le parvis. Dalles grises. Arbustes en pot. Touristes nez en l’air, ou œil au viseur, objectif baladeur. Il visualise les traces d’errements incertains, comme ces lignes jaunes et rouges dessinées par les lumières de voitures photographiées de nuit, diaphragme fermé au maximum, pose d’une minute.

     

    Les lignes se superposent en lui aux courbes des corps contemplés sur les images du musée, sensuelles sinuosités ensablées, carte au trésor dont il suit le tracé imaginé.

     

    Il se perd dans le labyrinthe des ruelles de la vieille ville. Finalement pas si vieille comparée au musée dont il sort et aux arènes dont il fera le tour dans un moment. Mais il y a les pavés, les portes basses et ouvragées, les ondulations en façade. La rue étroite interdit tout recul. Les perspectives déforment les constructions, en font des pyramides. Il se dit qu’à l’agrandisseur il faudra jouer sur la bascule pour corriger cette aberration.

     

    Il a marché le long du galbe d’un sein arrogant, s’est laissé glisser sur un ventre perlé d’eau et de sel jusqu’à disparaître entre les rives de deux cuisses prises par le flux.

     

    Les berges du fleuve sont abruptes. Les talus empierrés forment une pente sous le parapet jusqu’à l’eau sombre qui roule une masse dont on peut ressentir la puissance. Pour en montrer le mouvement, il faudrait encore fermer le diaphragme, poser le boîtier sur son pied, ou au moins sur le parapet et poser un quart ou mieux, une demi-seconde. Le flot lissé contrasterait avec le piqué de la pierre.

     

    Il a manqué tombé, s’est accroché aux boucles de la toison sombre mais le désir de ce creux l’attire encore, il pressent le plaisir de s’y enfoncer. Il approche de la grande forme ronde des arènes.

     

    Pas bien grandes les arènes, le tour en est vite fait. On comprend qu’on y montre plus de vachettes que de taureaux, mais ça n’a pourtant rien à voir. L’écrasement vient avec le rapprochement. Au pied du monument, on est au Colysée ! À l’intérieur, du sable, il y cherche en vain les traces d’un dernier sang. L’appareil posé au sol, l’objectif à peine relevé, le nez en l’air comme un touriste, on verrait tout ce sable borné par un demi-cercle de gradins. Il faudrait un 24 mm, 28 au pire.

     

    Il s’étend dur le sable, en reçoit la chaleur dans son corps, déclenche dans le vide. Il est au bout du rouleau.

     

    Jean-Paul - 11 mars 2014

     

    Photo Lucien clergue

     


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  • Nous roulions à présent depuis une bonne heure et avions laissé dans notre sillage les dernières traces de l’encombrement urbain qui constituait mon seul environnement depuis maintenant trois années, depuis précisément l’époque où, après avoir rencontré Odile au cours d’un week-end dans la maison de campagne normande d’un ami commun, nous avions, Odile et moi, convenu par un accord tacite autant qu’imprévisible, de nous installer ensemble dans mon grand appartement.

    Depuis ce jour, soit que nous trouvassions moins d’agrément à la fréquentation de nos prochains, soit que notre propre et exclusive fréquentation ne représentasse le tout auto-suffisant à notre équilibre, nous n’avions plus passé la limite du boulevard périphérique voire, dans la mesure où nous ne possédions pas d’automobile, celle des boulevards des Maréchaux.

    Il avait donc fallu cette circonstance aussi extraordinaire, bien qu’évidemment prévisible et à proprement parler fatale, du décès du père d’Odile, pour nous enjoindre de rompre avec cette habitude non préméditée mais bien établie qui nous maintenait sur le territoire de ces vingt arrondissements et même, pour être précis, de moins d’une quinzaine que nous nous étions arrogés comme notre seul territoire.

    Nous roulions donc dans cette voiture de location dont nous nous étions longuement disputé la place du passager, aussi peu attirés l’un que l’autre par la position du conducteur que nous n’occupions plus depuis toutes ces années, si l’on excepte la fourgonnette empruntée pour déménager la bibliothèque d’Odile dans mon appartement.

    Nous n’échangions que peu de mots du temps que défilaient des paysages dont nous avions perdu la pratique. Je savais, par le peu qu’avait pu m’en confier Odile aux premiers temps de notre relation, que sa famille se résumait à très peu de choses, enfant unique qu’elle était, née d’un père et d’une mère ayant précédemment vécu pareille solitude. La mère ayant devancé son époux dans la mort avant que je ne connusse Odile, celle-ci se trouvait, sans l’avoir décidé ni envisagé, la seule famille de ce géniteur délibérément ignoré après que le décès de sa mère lui en eût révélé la nature exécrable, encore qu’Odile n’eût jamais consenti à m’en révéler davantage à ce sujet.

    La petite ville où avait résidé et où gisait à présent ce père lointain se nichait dans les premiers contreforts du Morvan. Nous fûmes accueillis par un crachin de circonstance. La Maison funéraire se trouvait à l’entrée de la ville aussi nous y rendîmes-nous directement, c’est-à-dire sans passer par l’hôtel mais non sans avoir erré longuement dans une zone qui elle-même cherchait sa voie entre l’industrie et le commerce. Le petit parking devant la Maison funéraire n’était occupé que par une voiture, appartenant vraisemblablement, pensai-je, au responsable de l’établissement. Je garai notre véhicule tout à côté, comme si en ce moment j’avais éprouvé un irrépressible besoin de proximité. Nous pénétrâmes dans les lieux avec la modestie de ceux qui auraient préféré être ailleurs et ne pas déranger les occupants. En fait d’occupant, nous ne rencontrâmes personne, pas même le présumé propriétaire de l’automobile aperçue sur le parking. L’endroit n’était cependant pas grand, trois ou quatre portes autour d’un petit salon de réception meublé d’autant de fauteuils étroits. Deux de ces portes portaient un panonceau annonçant l’identité de l’hôte bien involontaire de la chambre funéraire situé derrière la porte. C’est ici, me dit Odile devant la deuxième porte de droite, et nous entrâmes. Ou plutôt j’entrai, puisque Odile marqua un temps d’hésitation qui dura un peu trop longtemps pour que je me sente tenu de rester à ses côtés. J’approchai du cercueil de bois blond, doublé d’un tissu gris satiné, dans lequel gisait le corps d’un homme un peu ratatiné et passablement chauve. J’adoptai spontanément l’attitude de recueillement qui sied à ces situations tandis qu’Odile, ayant avancé de deux pas dans la chambre, ne s’était pas encore décidée à s’approcher totalement. Je cherchais les possibles traits de ressemblance entre l’homme étendu devant moi et celle dont je partageais la vie depuis plusieurs années. Le nez, peut-être, ou le mouvement du menton quelque peu velléitaire ? Odile s’était à présent tout à fait approchée et regardait le corps. Je levai les yeux vers elle, sur ses yeux qui fixaient l’homme. Je pensai passer un bras sur ses épaules mais ce geste eût sans doute été démesuré eu égard au peu de liens existant entre Odile et son père. Je me résolus à lui prendre le bras, ce qui me semblait une solution intermédiaire et acceptable. Odile réagit brusquement en retirant son bras et tourna les talons. Ce n’est pas lui, dit-elle.

     

    Jean-Paul - 25 mars 2014


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