• Chère Monica, par Géraldine

    Santa Teresa, 10 mai 1995

    Chère Marta,

     

    Quelle excitation, toute cette vie nouvelle qui s'offre à moi !

    Nous venons à peine d'emménager dans une petite maison située dans une petite rue calme et je n'ai même pas pris le temps d'ouvrir ma valise ni d'accrocher mes posters de Vicente Fernandez ! Non, j'ai tout de suite fait un tour de quartier, je crois que je vais m'y plaire. Rien que des petites rues charmantes devant lesquelles on s'assoit, discute, épluche, je me croirais toujours à Morelia ! Seul un terrain vague à six pâtés de maison fait comme une verrue sur une joue rebondie. Mais bon, on s'en fiche ! C'est pour le boulot qu'on est là. Dès que j'aurai une opportunité pour toi, je t'écrirai, et tu pourras nous rejoindre, et ce sera comme avant : les Posadas et la Rios ! Les cinq mousquetaires !

    Muchos besos,

    Ta Monica.

     

     

    15 juin 1995

     

    Ma Marta,

    Un mois déjà que je travaille à la maquiladora Overworld, je n'ai pas vu le temps passer !

    On y travaille tous d'ailleurs. La tâche est dure, certes, mais nous le faisons de bon cœur et avec entrain,- d'ailleurs, avons-nous d'autre choix ? Et puis, c'est pour ça que nous sommes là, pouvoir vivre de notre labeur, pas comme au Michoacân où tout dessèche sur pied, les hommes comme les plantes. Quelle joie de se lever le matin pour quelque chose, de partir tous ensemble, la gamelle à la main, de rentrer le soir, pleins d'une saine fatigue et de partager le pain et le vin achetés comptant, tu entends, comptant !

    Contents d'avoir retrouvé un sens à notre vie, ça on l'est, et bientôt tu le seras aussi, Marta, bientôt. J'attends d'être dans les petits papiers du contremaître pour lui parler de toi. Un petit sourire par-ci, un petit sourire par là, je suis sûre que ça va marcher, un peu de patience, c'est tout.

    Je t'envoie mille baisers laborieux,

    Ta Monica.

     

     

    1er juillet 1995

     

    Comme je me languis d'entendre à nouveau ton rire strident !

    Ici c'est dur, tu sais. Pas de temps pour une plaisanterie sous peine de remontrance, une seule pause pipi par jour, 30 minutes pour déjeuner assis par terre dans la poussière en plein cagnard adossés au mur de l'usine, j'ai l'impression d'être tout à la fois un robot et un chien. Un chien robot. Lopez, le contremaître, nous hurle dessus dès qu'on ralentit. Aujourd'hui, il a mis un pied au cul de Maria qui se baissait pour ramasser un boulon tombé à terre.

    Et moi, c'est pas son pied qu'il me met au cul... Dès qu'il passe derrière moi, je sens sa grosse main poisseuse. Mais je ne peux rien dire, je viens d'être embauchée. Et puis il dirait que je l'ai aguiché avec mes sourires. Quelle frustration de se sentir pris au piège !

    Mais comme dirait maman, du nerf, ne nous laissons pas abattre, le chemin vers le bonheur est jalonné d'obstacles ! Et rien ne m'empêchera de te revoir, ma Marta chérie !

    Ta Monica.

     

    2 août 1995

     

    Marta, ça devient insupportable. Le gros Lopez ne cesse de me lancer des clins d’œil dégoulinant de vice et de sueur. Du coup je suis déconcentrée et je fais des erreurs sur la chaîne de montage, et il saute sur l'occasion pour se coller à moi tout en me hurlant dessus. Maman ne veut pas comprendre. Comme si elle était de mèche avec lui, le soir elle me reproche ma maladresse. Double peine, en somme. Heureusement, je trouve du réconfort auprès de Yolanda et Maria, deux filles de notre âge qui subissent la même chose. Après le repas on essaie de trouver un peu de force pour sortir et traîner dans le quartier, histoire de respirer un peu d'air frais à tous les sens du terme...et de rencontrer quelques gars sympas. Il y en a de craquants ! Et qui ont encore toutes leurs dents, pas comme ceux de notre village ! Un particulièrement...

    Je pourrai peut-être t'en dire plus la prochaine fois. D'ici là, porte-toi bien,

    Ta Monica.

     

    15 août 1995

     

    Ma chère Marta,

     

    Il m'a invitée à boire des tequilas ! Tu sais, celui dont je te parlais dans ma dernière lettre. Il s'appelle Vicente, comme notre idole ! C'est un signe ça, non ? Il est beau, tu ne peux pas savoir ! Comme un dieu ! Je pense sans cesse à lui ! Ça me fait oublier le boulot, et les rumeurs qui courent sur une fille de l'atelier qui a disparu. On raconte qu'elle a été retrouvée sur le terrain vague. Je ne veux pas y croire.

    Mille baisers,

    Monica Fuente (ça sonne bien, non ?!).

     

     

    16 octobre 1995

     

    Monica,

     

    Deux mois que je n'ai pas de nouvelles de toi, je m'inquiète. Avec toutes ces horreurs dont ils parlent aux informations, je me fais un sang d'encre. Ils parlent de tétons arrachés, de vagins explosés, et toujours de très jeunes femmes. Et ton portable qui s'obstine à me renvoyer sur ta messagerie...

    Je t'en supplie, écris-moi !

     Ta Marta qui s'inquiète. 


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