• Retrouvailles - Jean-Paul - 08/04/2014

    Je retrouvais C. presque telle que je l’avais laissée quinze ans auparavant, et surtout dans son allure, toute en droiture mais aussi en souplesse, ce qui avait toujours créé en moi un léger malaise, comme une impression de me trouver face à une règle molle ou à un serpent arthritique, comme la contremaîtresse d’un atelier de couture. Je savais, dès le moment où j’avais entendu ses premiers mots au téléphone, après quinze ans de silence, que c’était évidemment elle et qu’elle n’avait pas changé et sans doute ai-je pensé qu’elle n’aurait pas changé, sûr que j’étais déjà que nous ne pourrions que nous revoir et que ces quinze années s’effaceraient alors, qu’elles n’auraient pas existé et que nous ne ferions que reprendre l’amour interrompu, ou plutôt suspendu, comme il l’avait toujours été entre nous, du premier jour où nous nous étions connus jusqu’à ce jour prochain où je la retrouverais.

     

    C. se tenait sur le seuil d’une maison que je découvrais, mais je l’avais déjà vue, elle, je veux dire C., comme si la porte avait été en verre. Nous ne nous étreignîmes pas encore, voulant jouir encore quelque temps de l’attente que dès alors nous savions qu’elle prendrait fin lorsque bientôt nos corps se confondraient. Oui, tout cela était su, annoncé, sans que nous eussions le moindre besoin d’en dire quoi que ce soit, sans même que l’un pût en lire le moindre murmure dans le regard de l’autre. Et dans cette évidence du temps effacé, de l’espace anéanti, une autre évidence était enchâssée, celle de la séparation qui succèderait à ces retrouvailles, qui s’y trouvait contenue, qui en était l’aboutissement inéluctable, fatalité acceptée et peut-être même souhaitée.

     

    La voyant ainsi s’effacer devant moi pour me laisser pénétrer chez elle, mais sans me laisser tout à fait l’espace suffisant pour ne pas l’effleurer, j’éprouvais dans mes mains la mémoire des formes de C. de la même façon mais en même temps inversement à ce que j’avais éprouvé lors de notre première rencontre dans un compartiment couchettes plongé dans l’obscurité où elle m’avait invité à la rejoindre, lorsque, sans l’avoir vraiment vue, j’avais senti se dessiner en moi ses traits et ses formes que je parcourais de mes mains et de ma bouche. Depuis cet instant, elle était demeurée en moi, elle était une partie de moi alors même que nous simulions notre propre vie chacun de notre côté.

     

    Alors, C. referma la porte au nez du temps disparu, elle reprit la phrase suspendue depuis quinze ans et nous fîmes ensemble les premiers pas vers notre prochaine séparation.

     

    Jean-Paul

     

     

     

     


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