• Le temps, l'espace - Que reste-t-il des lieux de l’enfance ? - Jean-Paul - 01/04/2014

    Il y avait de l’herbe jaune qu’un jour je fus étonné de voir verte. Question de saisons. Il y avait des bouts de terrain, des bancaous, qui flottaient au fil des années, montant pour s’aligner sur la terrasse du haut, descendant quelques années plus tard au niveau du jeu de boules. Il y avait un cabanon où une pièce surgissait, un escalier disparaissait, une nouvelle porte s’ouvrait sur une cave devenue salle de bains.

    Et il y avait Nelly, jeune hollandaise au visage lisse et fin comme celui d’une déesse antique. Nous l’avons enterrée entre le ping-pong et le jeu de boules. Nous ne l’oubliions pas, en parlions de temps à autre. Puis un jour, nous la déterrâmes pour admirer à nouveau son buste sculpté dans cet inamovible bloc de calcaire pris dans l’argile. Nelly a de nouveau disparu mais je sais où elle est, un jour je la ferai réapparaître.

     

    *

     

    C’est une ville blanche et froide où il peut tomber un mètre de neige en une nuit, décor de camouflage pour un enfant de six ans et son chien. Passage au blanc à la Toussaint, retour de la couleur à Pâques. Les années les plus chaudes, on peut arrêter le chauffage du 14 juillet au 15 août.

    Je ne sais pas encore ce qu’est le froid, je roule à bicyclette par 30° sous zéro, empoignant le guidon d’une main, l’autre occupée à tenir des skis en équilibre sur mon épaule. Le soir, je roule jusqu’à la patinoire naturelle en plein air, les patins à glace noués autour du cou. Avant de partir, on arrose la glace pour que la nuit forme une nouvelle couche que nous viendrons mordre le lendemain.

     

    *

     

    La route va lentement sous la voiture grise au toit tout capoté de toile. Elle envoie du plus loin ses signaux qui prennent assez de temps pour qu’on les voie arriver, rester une seconde à la hauteur de la voiture puis disparaître dans la lunette arrière. Signaux, bornes, stations-service avec pompistes, étals couverts de melons, cabanes pleines de nougats. Au bout c’est la mer. Un jour la route ira plus vite sous une voiture ressemblant à toutes les autres, les signaux grandiront pour que, malgré la brièveté de leur passage, on puisse encore les distinguer. Au bout, la mer se cachera derrière du béton.

    Un jour d’été, parmi la longue file de vacanciers roulant vers le sud, un camion sans freins traversera la nationale, arrachera un morceau de la 2 CV avant d’aller mâcher le break 203 des cousins qui suivent. Une seconde pour anéantir une vie et en briser quelques autres.

     

    *

     

    Dans la ville il y a des rails avec des tramways ; leurs banquettes en bois ont des dossiers qui changent de position selon le sens du trajet. Il y a des câbles au-dessus des rues. Des perches vont des câbles jusqu’aux trolleybus silencieux. Quand la perche se décroche, le trolley s’arrête, le contrôleur descend pour aller la remettre en place. Je monte dans le petit sulky attelé à un cheval de bois que je fais avancer en pédalant. Autour du vieux marché circulent le rémouleur, la marchande de limaçons et la vendeuse de brousses du Rove.

    Dans cette ville où je ne suis encore qu’un visiteur intermittent, j’accomplis avec ferveur le pèlerinage de Noël : fondants et papillotes chez Dromel, pompe à l’huile chez Michel, huîtres et moules chez Toinou. Les noms seuls m’apportent les odeurs de chaque produit, le sourire des blouses roses de la confiserie, la queue sur le trottoir devant la boulangerie, les vendeurs en marinière de l’écailler.

     

    Jean-Paul - 1er avril 2014


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