• Moi, Michelle Requejo, 14 ans, Colonia San Damian, Tijuana 

    Ils ont pas fini de me mater comme ça ces hijos de puta ?? Ils pourraient avoir un peu de pudeur quand même. Ils sont là debout autour de moi, 4 hommes et une femme, ils me détaillent comme si j’étais un bout de viande ou un insecte sur le dos. 

    Ils ont l’œil intéressé en plus, qu’est-ce qu’ils croient, que je les vois pas ? Leurs regards circulent sur mon corps et parfois ils ralentissent, ils insistent, ça me gêne terriblement.  

    En plus je suis pas franchement à mon avantage, alors là absolument pas, couchée sur la terre au milieu des cailloux, des emballages de biscuits et des bouteilles de cerveza, la blouse déchirée et le pantalon baissé sur les genoux.  Mon maquillage, inutile de dire qu’il en a pris un coup. Ça fait un jour ou deux que je suis là, je sais plus trop, j’ai un peu perdu la notion de temps faut dire. Le sang a séché, au moins les blessures me font plus mal, forcément, puisque je suis morte.  

    Ciudad Juarez, on le savait que c’était pas le paradis en venant, mais on n’imaginait pas ça quand même. Mais papa il disait qu’on gagnerait 4 ou 5 fois plus qu’à Las Margaritas, c’est notre ville dans le Chiapas, c’est vrai que là-bas et ben y’a rien, littéralement rien, de la terre sèche, un soleil qui t’écrase à partir de 9 heures du matin, des baraques en bois même pas peintes, des rues poussiéreuses et des champs de haricots et de maïs autour, dans le meilleur des cas, les arbres, faut les chercher. Et puis des gens, plein de gens, des vieux, des jeunes, beaucoup de jeunes, et tout ça qu’a pas de travail et qui traine toute la journée. 

    « A Ciudad Juarez on aura du travail, même vous, il disait papa en nous regardant mama et moi et Miguel, c’est mon frère, il a 16 ans et moi 14, enfin, j’avais. «  On pourra s’acheter un écran plat, une voiture d’occasion, et puis on enverra Carmen et Juana à l’école», Carmen et Juana c’est mes petites sœurs, enfin, c’était. 

    « On ira faire des virées chez les gringos de temps en temps, c’est juste à côté, il y a des surpermercados vous imaginez pas, on pourra même faire des économies. Et comme ça on reviendra et on ouvrira un restaurant, on sera bien » 

    C’est ça qu’il disait mon père. Alors on s’est forcés à y croire un peu, de toute façon y’avait pas trop le choix. Et puis voilà, maintenant je suis là avec les flics qui me regardent et je fais quoi moi, là, maintenant ?  

      

      Philippe N 


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